Nous vous proposons cette étude réalisée par Adélaïde Motte et publiée par l’IREF.
Adélaïde Motte est chargée d'études Diplômée en Stratégies internationales et diplomatie de l'ISIT. Spécialisée dans l'actualité allemande, la décentralisation et la bioéthique. Germanophone.
L’IREF est un « think tank » libéral et européen fondé en 2002 par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux. L’institut est indépendant de tout parti ou organisation politique. Il refuse le financement public.
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Alors que la France a tout pour être parmi les grandes puissances maritimes, ses ports ne parviennent pas à soutenir la concurrence. En cause, les multiples réglementations qui sont autant de freins à leur développement et les syndicats qui endommagent durablement leur réputation et font fuir les armateurs.
Une géographie idéale, des résultats décevants
La France a en théorie de nombreux atouts pour être une grande puissance maritime : son relief est propice aux réseaux routiers et ferroviaires permettant de relier les ports aux terres, son réseau fluvial est fourni et parcourt l’ensemble du pays, elle dispose d’un accès à trois mers et océans, elle se trouve en première place face aux États-Unis par l’Atlantique. Marseille peut être relié à Lyon, et y a d’ailleurs ouvert en 1996 un « port avancé » qui permet entre autres le dédouanement des produits. Le Havre dispose d’un accès aux eaux profondes particulièrement intéressant pour les porte-containers, contrairement par exemple à Hambourg, où les navires doivent passer par le canal de l’Elbe. Il est également bien situé dans le « Range Nord », corridor allant du Havre à Hambourg, en passant notamment par Dunkerque, Rotterdam, Anvers et Amsterdam. Le Havre y est en première position pour l’import et en dernière pour l’export, d’où une limitation du temps de transit.
Malgré ces avantages, la concurrence est rude : la moitié des marchandises importées en France par la mer y sont entrées par l’étranger. Il faut dire que nos ports peuvent être 15% plus chers et sont moins bien raccordés au réseau terrestre. Un trajet Le Havre-Paris par voie ferroviaire prend aujourd’hui une demi-heure de plus que dans les années 80, sans compter qu’un train de fret sur dix accuse un retard de plus d’une heure. Selon le rapport 2015 de la Cour des comptes, le Havre a connu une forte décroissance d’activité entre 2008 et 2012. Il se classe quatrième selon les parts de marchés dans le trafic total du Range Nord, loin derrière Rotterdam et Anvers. Cela n’est pas si étonnant : dans les ports comme dans bien d’autres structures, les normes environnementales font des dégâts. Le Havre évite d’aménager de nouveaux espaces car s’il le fait, il doit en compenser l’impact. Ainsi, la construction de Port 2000, construit en 2006 pour accueillir plus de conteneurs, a dû être accompagnée de l’érection d’une île aux oiseaux. Une perte de temps et de moyens qui a médusé nos concurrents et clients, les premiers se frottant les mains et les seconds allant ailleurs. Car pendant que nos ports se perdent dans les normes environnementales, ceux de l’étranger s’améliorent. Rotterdam comptait en 2012 presque quatre-vingt-dix kilomètres de quais contre seulement vingt-et-un pour le Havre. A Rotterdam et à Anvers, les marchandises passent directement des conteneurs aux péniches alors qu’au Havre, des camions doivent faire la liaison. Ce qui pourrait prendre quelques minutes prend donc un ou deux jours. Conséquence, entre 2005 et 2011, le trafic de tous les ports du Range Nord a augmenté de presque 18%, quand celui du Havre diminuait de 10,6%.
La situation à Marseille n’est pas plus réjouissante. Dans cette ville où la CGT tient une place historique, le coût de manutention, qui représente les deux tiers du coût de passage, est supérieur de 30% à celui de ses concurrents méditerranéens. Le port phocéen est 18% plus cher que le Havre, les coûts d’immobilisation des navires sont plus élevés, et tout cela pour un service médiocre : entre 2000 et 2004, une escale sur cinq a connu un incident. Ces derniers sont dus pour un tiers au port et pour deux tiers aux opérateurs, que ce soit pour des causes techniques, des problèmes d’organisation ou à cause du climat social détestable. Le Livre noir des syndicats recense quatre-vingt-dix jours de grève en 2008 et plus de trente de 2009 à 2010, pour un coût de dix mille euros par jour et par bateau.
La CGT, syndicat tout-puissant et malfaisant
A l’exception de Dunkerque, où règne la CFDT, la CGT est majoritaire partout, et veille à le rester. La Cour des comptes, dans le rapport cité plus haut, notait ainsi que les représentants du personnel siégeant à l’assemblée du Havre étaient tous issus du même syndicat. Pourtant, la représentativité des organisations syndicales n’est pas forcément liée aux dernières élections. Rien ne justifiait donc que la CGT soit seule présente à l’assemblée. C’est pourtant le cas, et il en résulte pour le port des difficultés à se réformer. Ainsi, le Havre, Rouen et Paris ont créé en 2012 le groupe HAROPA, afin de produire un service plus compétitif. Pour le rendre plus facilement acceptable, ils se sont engagés à ne pas pour autant réduire les équipes, se privant ainsi d’économies structurelles importantes, qui auraient pu leur permettre de baisser leurs coûts, donc d’être plus. Plus grave encore, la CGT tient le Bureau central main d’œuvre (BCMO), qui délivre le certificat de qualification professionnelle des dockers. Elle dispose de fait d’un monopole sur les embauches.
L’importance de la CGT dans les ports lui donne une force de pression démesurée, dont les armateurs finissent par ne plus être dupes. A force d’être confrontés à des grèves ruineuses, ils fuient les ports français et vont débarquer ailleurs pendant que les syndicats veillent sur les privilèges des employés. Au Havre, la Cour des comptes remarquait en 2015 que le dispositif de pointage était inefficace, et que de nombreux bordereaux manquaient à l’appel. Coïncidence, ceux qu’elle n’avait pas pu vérifier étaient ceux des agents « les plus concernés par les dépassements d’heures supplémentaires ». D’ailleurs lorsqu’un employé doit faire des heures supplémentaires, on lui en compte automatiquement quatre, même si son intervention est finalement plus courte. On veille aussi au maintien de la prime d’assiduité, devenue un élément fixe de rémunération intégrée au salaire de base alors qu’elle devait lutter contre l’absentéisme de courte durée. Enfin, les logements de fonction sont l’objet de quelques souplesses : ils sont parfois occupés sans lien de service, par des retraités ou des veuves, et les loyers sont inférieurs aux charges payées par le port.
Pour maintenir ces privilèges, les militants cégétistes font régulièrement grève, parfois pour des raisons étranges. Ils ont manifesté contre les retraites, pour conserver l’accord de pénibilité leur permettant de partir deux ou trois ans plus tôt que l’âge légal, et ont déclaré une grève de courte durée, ou débrayage, en hommage à l’un de leur collègue décédé dans un règlement de compte sur fond de trafic de drogue. Entre 2008 et 2018, on comptait près de mille sept cents mouvements sociaux dans les grands ports français, le seul épargné étant Dunkerque, contrôlé par la CFDT. A l’inverse, les employés de l’étranger ne font jamais d’opération « port mort », donc de blocages, et ne font grève que pour des sujets les concernant directement. Peut-être s’opposent-ils également moins à l’automatisation des tâches, contrairement à la CGT qui refuse des nouveautés technologiques comme l’automatisation des grues. Enfin, à Marseille, lorsque le dédouanement des marchandises devait être délégué au port avancé de Lyon, les agents marseillais ont bloqué l’ouverture des données informatiques à leurs collègues lyonnais.
Empêtrés dans des dialogues avec des partenaires sociaux qui se comportent en adversaires, nos ports ne parviennent pas à mener les restructurations que demande la concurrence. Alors que la mondialisation devrait leur permettre d’augmenter leur activité, d’enrichir la France et de créer des emplois directs et indirects, ils sont condamnés à manquer des opportunités et à voir les armateurs éviter des structures qui leur apportent bien plus de problèmes que de solutions. Face à une guerre si déséquilibrée, la seule solution semble être de réduire le financement des syndicats, qui survivent grâce aux subventions publiques et malgré leur faible représentativité. Autrement, les ports français, qui en 2017 accueillaient à peine plus de conteneurs que leurs homologues grecs, sont voués à être les derniers d’Europe.
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