LE TALON D'ACHILLE D'UNE NATION NUMÉRIQUE : LA DÉPENDANCE DE L'AUSTRALIE À L'ÉGARD DES CÂBLES SOUS-MARINS

La souveraineté numérique de l'Australie est menacée de désastre, prise en otage par un réseau de câbles sous-marins vulnérables. Notre dépendance complaisante à l'égard de ces lignes de vie sous-marines est un pari inconsidéré sur notre sécurité économique, sociale et nationale. Alors que le gouvernement et l'industrie des télécommunications vantent les efforts en cours pour renforcer la sécurité des câbles, leurs mesures ne sont que des palliatifs, inadéquats pour faire face à l'ampleur de la crise imminente.

Nous avons besoin de câbles plus résistants, de points d'atterrissage mieux répartis, de voies de communication alternatives et des meilleures mesures de cybersûreté possibles.

L'économie numérique australienne est un véritable mastodonte. Elle se développe rapidement et joue un rôle central dans la prospérité du pays. En 2021, elle a contribué au produit intérieur brut à hauteur de 167 milliards de dollars, soit près de 8 %. Ces chiffres devraient augmenter dans les années à venir, la stratégie 2030 du gouvernement sur l'économie numérique visant à placer l'Australie parmi les dix premières économies et sociétés numériques au monde. Cette ambition est étayée par la prévision que l'économie numérique pourrait atteindre 315 milliards de dollars par an au cours de la prochaine décennie et créer un quart de million d'emplois au cours des quatre années à venir jusqu'en 2025.

Toutefois, cette puissance numérique repose sur une base précaire : le réseau de câbles sous-marins qui achemine 99 % du trafic internet international de l'Australie. Ces câbles permettent tout, du commerce électronique aux services bancaires en ligne, en passant par les télécommunications et l'informatique en nuage. Une perturbation de ces câbles ne paralyserait pas seulement les entreprises et les services essentiels, mais mettrait également en péril la croissance économique et la compétitivité mondiale de l'Australie.

Les menaces qui pèsent sur les câbles sous-marins ne sont pas théoriques ; elles sont réelles et croissantes. Les catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre, les tsunamis et les glissements de terrain sous-marins constituent un risque constant de perturbation. Cependant, la menace la plus alarmante provient d'acteurs humains. Les acteurs étatiques et non étatiques pourraient exploiter la vulnérabilité des câbles sous-marins pour atteindre des objectifs stratégiques.

À une époque où les tensions géopolitiques et les guerres hybrides s'intensifient, la militarisation des câbles sous-marins est de plus en plus probable. Un acteur hostile pourrait couper les connexions de l'Australie avec le monde, provoquant une panique généralisée, un chaos économique et un coup dur pour le moral de la nation. La menace de l'espionnage plane également, car des agences de renseignement étrangères pourraient se brancher sur les câbles pour siphonner des données sensibles et compromettre la sécurité nationale de l'Australie.

Des incidents récents dans le monde entier ont mis en évidence la vulnérabilité des câbles sous-marins. En 2022, des soupçons de sabotage de câbles internet près du Svalbard et des îles Shetland ont suscité l'inquiétude, tout comme les dommages causés à l'oléoduc connecteur de la Baltique et à deux câbles sous-marins par un navire commercial appartenant à des Chinois. En février 2023, deux câbles sous-marins reliant Taïwan à l'île périphérique de Matsu ont été coupés par des navires civils chinois, probablement intentionnellement. Ces incidents, ainsi que l'attaque présumée des Houthis sur les câbles de la mer Rouge en 2023, nous rappellent brutalement que les infrastructures sous-marines deviennent de plus en plus une cible dans l'escalade des tensions entre les États-nations.

Croire que le réseau câblé australien est suffisamment redondant pour résister à de telles menaces est une dangereuse erreur. Si de nombreux câbles nous relient au reste du monde, ils convergent pour la plupart vers quelques points d'atterrissage seulement, ce qui crée des points uniques de défaillance possible. En outre, nombre d'entre eux suivent des itinéraires similaires, ce qui les rend vulnérables à des perturbations simultanées.

Les principaux points de connexion au câble international en Australie sont Sydney, Perth et la Sunshine Coast.  Bien qu'il existe des points d'atterrissage secondaires dans d'autres villes, comme Adélaïde et Melbourne, ils sont souvent reliés à d'autres villes australiennes plutôt que d'aller directement à l'étranger. La concentration des points d'atterrissage amplifie encore le risque, car un seul événement peut paralyser plusieurs câbles simultanément.

Les progrès rapides de l'intelligence artificielle et son intégration dans divers secteurs de l'économie australienne exacerbent encore la dépendance du pays à l'égard des câbles sous-marins. Les technologies alimentées par l'IA, telles que l'apprentissage automatique, l'analyse des big data et les systèmes autonomes, nécessitent la transmission et le traitement de grandes quantités de données, souvent au-delà des frontières internationales. Ce flux de données accru intensifie la demande de connectivité internet à haut débit et fiable, rendant l'Australie encore plus dépendante de son infrastructure vulnérable de câbles sous-marins.

Les capacités de défense de l'Australie sont également inextricablement liées à son infrastructure numérique. Les forces de défense australiennes dépendent des câbles sous-marins pour leurs communications sécurisées, l'échange de renseignements et la coordination des opérations militaires. Une perturbation de cette infrastructure essentielle compromettrait gravement la connaissance de la situation, les capacités de commandement et de contrôle et la capacité de projection de la force de l'ADF. En cas de conflit, la perte des liaisons de communication sous-marines pourrait être catastrophique, isolant potentiellement l'Australie de ses alliés et entravant sa capacité à défendre ses frontières.

Les améliorations de fortune apportées à la sécurité et à la résilience des câbles ne sont plus suffisantes. L'Australie a besoin d'un changement de paradigme dans son approche de l'infrastructure numérique. Cela nécessite une stratégie audacieuse et complète qui englobe :

-Conception de câbles résilients : investir dans de nouvelles technologies de câbles plus résistantes aux dommages physiques et aux manipulations, telles que les câbles blindés et les fibres auto-cicatrisantes ;

-points d'atterrissage répartis : établir un réseau véritablement décentralisé de points d'atterrissage dans tout le pays, afin qu'aucune région ne puisse être isolée par une attaque localisée ou une catastrophe naturelle et afin de réduire le risque de rupture simultanée de plusieurs câbles ;

-voies de communication alternatives : investir et développer des solutions de communication non terrestres telles que des constellations de satellites, des plates-formes à haute altitude et des stations terrestres afin de fournir une connectivité de secours en cas de coupure des câbles ;

-renforcement de la cybersûreté : mise en œuvre de mesures de cybersûreté de pointe pour protéger l'infrastructure des câbles contre les cyberattaques et l'espionnage, notamment en renforçant la surveillance du réseau, les systèmes de détection des intrusions et les capacités de réaction aux incidents ; et

-Collaboration internationale : renforcement des partenariats avec les alliés régionaux et les nations partageant les mêmes idées afin de partager les renseignements, de coordonner les réponses aux menaces et de développer des stratégies communes pour la protection des câbles par le biais d'exercices conjoints, de partage d'informations et de recherche collaborative sur les technologies de sécurisation des câbles.

L'Australie ne peut pas se permettre de tergiverser sur cette question cruciale. Les menaces qui pèsent sur nos câbles sous-marins s'intensifient et les conséquences de l'inaction sont désastreuses. En prenant des mesures décisives dès maintenant, l'Australie peut renforcer sa résilience numérique, préserver sa sécurité nationale et assurer sa prospérité continue dans un monde de plus en plus interconnecté et contesté.

Le temps de la complaisance est révolu. Le talon d'Achille de notre nation numérique doit être protégé.

(Source : ASPI,  Australian Strategic Policy Institute)