UN SALAIRE MINIMUM EUROPÉEN, MAIS SANS LES MARINS ?
Un salaire minimum européen, mais sans les marins ?
Patrick CHAUMETTE,
professeur émérite de l’université de Nantes
En juin 2020, la Commission européenne a envisagé la mise en œuvre d’un salaire minimum dans toute l’Union européenne. A la suite de son évaluation, le 28 octobre 2020, la Commission européenne a proposé une directive visant à faire en sorte que les travailleurs de l'Union soient protégés par des salaires minimaux adéquats. L’exercice est délicat, car il ne s’agit pas de toucher à la négociation collective des partenaires sociaux, ni aux compétences des États membres.
Le droit à un salaire minimal adéquat est inscrit dans le principe 6 du socle européen des droits sociaux, qui a été proclamé conjointement par le Parlement européen, le Conseil au nom de tous les États membres et la Commission européenne à Göteborg en novembre 2017. Les salaires minimaux existent dans tous les États membres de l'Union européenne. Dans 21 États membres, il existe un salaire minimal légal, tandis que dans 6 autres (Danemark, Italie, Chypre, Autriche, Finlande et Suède), la protection offerte par des salaires minimaux est assurée exclusivement au moyen de conventions collectives. Pourtant, selon la Commission européenne dans la majorité des États membres, les travailleurs sont confrontés au caractère insuffisamment adéquat de la protection offerte par des salaires minimaux et/ou à des lacunes dans sa couverture. Dans la majorité des États membres disposant de salaires minimaux légaux nationaux, ceux-ci sont trop bas par rapport aux autres salaires ou ne suffisent pas à assurer une vie décente, même s’ils ont augmenté ces dernières années.
La proposition de directive respecte le principe de subsidiarité : elle établit un cadre relatif à des normes minimales, respectant et reflétant les compétences des États membres, ainsi que l'autonomie et la liberté contractuelle des partenaires sociaux en matière de salaires. Elle n'oblige pas les États membres à instaurer un salaire minimal légal, pas plus qu'elle ne fixe un niveau commun de salaire minimal. Les pays où le recours aux négociations collectives est important se distinguent généralement par une plus faible proportion de travailleurs à bas salaires, des inégalités salariales moindres et des salaires minimaux plus élevés. La proposition vise ainsi à promouvoir les négociations collectives, en matière de salaires dans tous les États membres. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020PC0682&from=EN
Donc il ne s’agit pas d’un salaire minimum d’un montant identique, ce qui est proprement irréaliste, ni même d’une obligation de chacun des États membres de mettre en place un salaire minimum légal, ce qui peut être regretté, dans la mesure où les faiblesses du dialogue social et des négociations collectives font que de nombreux salariés ne relèvent pas d’un salaire minimum conventionnel, ni de branche, ni d’entreprise. C’est cette faiblesse de la négociation collective qui explique la création en France, en 1950, d’un SMIG, salaire minimum légal, devenu SMIC indexé en 1970. Il en est de même en Allemagne depuis 2015, dans les branches sans conventions collectives et, depuis le 1er janvier 2018, dans toutes les branches. La couverture conventionnelle se réduisant notamment avec la sous-traitance, le travail temporaire, un salaire minimum légal a été créé en Allemagne.
Faut-il exclure les gens de mer, les marins, de ce dispositif européen, en raison de l’internationalisation de leur activité ? Des marins à part, comme souvent ? Cette demande d’exclusion est très paradoxale en France, car pour les marins, il existe à la fois le SMIC et le SMIMF.
Le SMIMF, salaire minimum international maritime français, concerne les navires sous pavillon français, inscrits au registre International Français (RIF), et les marins qui ne résident pas en France, donc qui ne résident pas en Europe (art. L. 5623-9 C. Transports). Bref, il s’agit des marins « internationaux » non européens. L’article 13 de la loi du 3 mai 2005, créant le RIF, a prévu cette rémunération minimale. L’arrêté ministériel du 21 décembre 2005 a fixé la rémunération de base du matelot qualifié, pour 208 heures de travail par mois, à un montant de 620,05 USD ; à ce montant, s’ajoute la rémunération des trois jours de congés par mois d’embarquement ; l’arrêté comporte en annexe une grille de coefficient (JORF 30 déc. 2005, p. 20484). Un salaire minimum fixé en US Dollars, quand l’arrêté prévoit seulement l’application du taux de change de la Banque centrale européenne, si ce salaire est libellé en euros. Surtout un salaire minimum qui n’a pas été révisé depuis 16 ans, inférieur au salaire de base recommandé par l’OIT, 641 dollars depuis le 1er janvier 2021, adopté par la Commission paritaire maritime (principe directeur B2.2.4 de la MLC 2006), pour 192 heures par mois, non comprises les heures supplémentaires.
Dans le cadre de l’accord international IBF-International Bargaining Forum, conclu pour 2019-2022 par ITF et IMEC (International Maritime Employers’ Council) le salaire minimum d’un matelot de base est de 703 USD pour 40 heures par semaine, plus 523 USD pour 103 heures supplémentaires par mois.
Ce salaire minimum du RIF n’aura pas un caractère adéquat, au sens de l’article 5 de la proposition de directive.
Heureusement les armements français, recourant au registre international RIF, ont des politiques sociales comportant des rémunérations supérieures au SMIMF, qui n’a plus l’air vraiment sérieux.
Le SMIC, salaire minimum interprofessionnelle de Croissance, s’applique au secteur maritime, commerce, pêche et plaisance. Il existait, depuis 1950, un SMIC maritime qui pouvait être diminué d’un huitième, lorsque l’e patron ou l’employeur prenait en charge la nourriture des marins à bord. Le nouveau code du travail de 2008 a anticipé sur l’entrée en vigueur des conventions maritimes de 2006 et 2007 de l’OIT, mettant la nourriture à bord à la charge de l’armateur. Il en est résulté le décès du SMIC maritime et l’extension du SMIC général aux secteurs maritimes, innovations confirmées par la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 14 novembre 2012, n° 11-20776 et 11-20984, Droit Maritime Français DMF, 2013, n° 744, pp. 130-136, Droit Social, 2013, n° 2, pp. 189-191, « A droit constant, le SMIC maritime est rectifié et augmenté »).
Le secteur de la pêche artisanale, compte tenu de la rémunération à la part de pêche, dispose d’un salaire minimum semestriel, calculé en jours de mer, et nullement horaire ou mensuel. La loi d’orientation pêche du 18 novembre 1997 a permis des assouplissements, afin de concilier salaire minimum et rémunération à la part. L’article L. 5544-39 du code des Transports prévoit qu’ « un accord national professionnel ou des accords de branche étendus fixent les modalités de calcul de la rémunération du marin rémunéré à la part et détermine les périodes de travail retenues pour le calcul du salaire minimum de croissance. Ces périodes ne peuvent être supérieures à douze mois consécutifs calculées sur une année civile ». Une rémunération annuelle minimale a été prévue pour 2001 par un accord collectif national de la pêche artisanale du 6 juillet 2000. Une révision est intervenue en 2007. Le 15 février 2011, a été signé l’avenant n° 4 de l’accord national de la pêche artisanale, étendu par arrêté ministériel du 27 juin 2011 (JORF n° 149, 29 juin 2011, p. 10958). Le versement minimal par jour travaillé de 88 euros bruts en moyenne semestrielle. Le versement est semestriel, si le montant des parts de pêche est inférieur à cette rémunération minimale. Le montant des versements annuels doit, sur la base de 225 jours de mer, être au moins égal à 88 x 225 = 19 800 euros bruts. L’avenant prend en compte le travail à terre des matelots. Le salaire minimum est ici semestriel, calculé par jour de mer, quand le SMIC général est lui horaire (P. CHAUMETTE, « De la modernisation de la rémunération à la part de pêche » Annuaire de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes, t. XXXIV, 2016, pp. 37-57).
Quant au SMIC, l’impact de la proposition de directive semble inexistant. Alors pourquoi envisager d’exclure les marins de cette directive ?
Il est logique de s’interroger sur le champ d’application de cette proposition qui concerne les travailleurs ayant un contrat de travail ou une relation de travail subordonnée. Comment atteindre les travailleurs à la demande, les faux indépendants, ou faux auto-entrepreneurs, les travailleurs des plates-formes numériques ? Pour les travailleurs sous contrat de travail international, encore faut-il un rattachement fort avec le droit français, par exemple à travers l’application des conditions sociales de l’État d’accueil ou le registre national d’immatriculation du navire.
La directive 2015/1794 du Parlement européen et du Conseil du 6 octobre 2015 a fini par étendre aux gens de mer les directives 98/59 sur les licenciements collectifs économiques, 2001/23 sur les transferts d’entreprise ou d’établissement, 2002/14 relative à l’information et la consultation des travailleurs, 2008/94 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, 2009/38 concernant l’institution d’un comité d’entreprise européen. L’impact sur le droit français fut très minime.
L’exclusion des gens de mer est anachronique. S’agit-il alors de protéger les États membres les plus laxistes, ceux où les marins sont les moins protégés ?
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